Santé

Audition de Prescrire par la Commission des affaires sociales

Prix des médicaments : audition de Prescrire par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale

En juin 2016, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a auditionné des représentants des firmes pharmaceutiques, d’agences de régulation, des patients et de la société civile sur le prix des médicaments, et les problèmes posés par le prix exorbitant de certains d’entre eux. Pierre Chirac, président de l’Association Mieux Prescrire, qui édite la revue Prescrire, a présenté les observations et les conclusions de Prescrire.

Texte de l’intervention de Prescrire

« Je déclare que je n’ai pas de lien d’intérêt avec les firmes de produits de santé, ni avec les assureurs, ni avec les régulateurs. Comme tous les salariés de prescrire, et notamment la centaine de médecins et de pharmaciens, je dépends des  30 000 soignants qui sont abonnés à Prescrire.

D’abord une précision sur les mots s’impose : on entend parler d’innovation, du prix de l’innovation, de la capacité de notre système de protection sociale à accueillir l’innovation…

Mais en fait, cela a été dit plusieurs fois ici même (Cf. Prix des médicaments : la commission a auditionné des professeurs et des reponsables…) et les dirigeants de l’Agence européenne du médicament l’ont reconnu dans un courrier publié sur leur site la semaine dernière, « innovation » veut juste dire « nouveau ». Cela ne veut pas dire « progrès ». La plupart des innovations en fait n’apportent pas de progrès tangible pour les patients. Et certaines s’avèrent de véritables régressions thérapeutiques. Ce constat regrettable, Prescrire n’est pas le seul à le faire ; et par exemple des cancérologues des États-Unis ont publié une étude montrant qu’avec les 71 médicaments anticancéreux pour des tumeurs solides mis sur le marché entre 2002 et 2014, c’est tout récent, l’allongement de la durée de vie n’avait été que de 2 mois seulement en moyenne  (Cf. Médicaments : les prix exorbitants nuisent à la recherche).

La première chose à faire pour que le débat sur le prix de l’innovation ait un sens pour la population et les malades, c’est donc de parler de progrès thérapeutique pour les patients, et pas d’innovation, et de savoir en effet quel peut être son prix.

Comme le montre très bien le communiqué de presse du Leem (syndicat des firmes pharmaceutiques) d’hier (21 juin), on peut guérir ou prévenir des maladies graves pour quelques euros ; mais tous les exemples donnés par le Leem sont basés sur des médicaments et vaccins anciens, voire très anciens, qui n’ont jamais été très chers. Il faut bien se rendre compte que depuis quelques années nous sommes entrés dans une nouvelle époque, celle des prix extravagants, exorbitants, inacceptables.

Ces prix d’aujourd’hui ne sont pas corrélés aux coûts de recherche et développement des médicaments passés et futurs. Il serait d’ailleurs très intéressant d’avoir une transparence dans ce domaine. Car le seul chiffre disponible, calculé par la même équipe du Tufts center depuis 40 ans n’est pas crédible. Le pdg de la firme Glaxo Smith Kline, Andrew Witty, l’a lui-même reconnu il y a quelques années, en parlant d’un des plus grands mythes de l’industrie.

Les firmes argumentent de plus en plus leurs prix en parlant de la « valeur » de leur médicament, ou des économies qu’ils pourraient entrainer pour le système de soins. Mais par exemple une étude réalisée par des cancérologues des États-Unis, sur 58 médicaments mis sur le marché entre 1995 et 2013, montre que leur prix a augmenté beaucoup plus vite que leur intérêt thérapeutique (Cf. Prix des nouveaux médicaments : racket).

Et l’expérience de la Commission d’évaluation économique et de santé publique de la HAS montre que les études médico-économiques des firmes dans ce domaine sont extrêmement faibles voire carrément trompeuses. Ces modèles médico-économiques sont basés sur des hypothèses fragiles et des données issues d’essais cliniques de plus en plus limitées, puisque la tendance est aujourd’hui malheureusement à des mises sur le marché trop souvent sur la base d’une évaluation clinique très limitée et peu probante.

Dans le domaine de l’hépatite C, la firme Gilead justifie le prix outrancier de son sofosbuvir par de prétendues économies à venir. Mais cette analyse est mise en cause par un institut économique étatsunien (l’Institute for economic and clinicial review) qui ne voit d’économies qu’en 20 ans dans le meilleur des cas, et à condition de ne traiter que les patients les plus atteints, qui ne sont pas les plus nombreux.

Les cancérologues dont je viens de citer l’étude font remarquer qu’en fait le prix des médicaments anticancéreux correspond aujourd’hui à « la disposition à payer » (willingness to pay) des patients via la collectivité ou les assureurs, chiffre issu de calculs économiques contestables fixant le prix d’une année de vie en bonne à santé à 100 000 à 150 000 euros selon les pays.

En clair, dans le domaine du cancer ou de l’hépatite C, entre autres, les firmes demandent des prix qui correspondent à la capacité maximale de paiement des patients et des systèmes de prise en charge financières de soins des pays les plus riches de la planète.

Cette tendance lourde des firmes pose de très nombreux problèmes dans le monde entier, éthiques, sanitaires et économiques, que tout le monde peut imaginer.

Mais cette tendance pose aussi un problème pour la recherche elle-même comme l’a déclaré en 2014 le directeur d’un centre anticancéreux réputé des États-Unis. En effet, tous les efforts de recherche et développement (R&D) sont concentrés aujourd’hui sur les mêmes micro-marchés, des niches, qui bénéficient de facilités liées au statut de médicament orphelin. Dans une déclaration sur les médicaments, le Conseil de l’Union européenne a demandé la semaine dernière à ce que la Commission européenne enquête sur cette situation contre-productive d’une concentration de la R&D pharmaceutique sur des niches.

Et puisque je parle de l’Europe, je terminerai sur cet aspect : la France peut agir dans le domaine du prix des médicaments notamment si elle s’allie à des initiatives internationales, G7 ou Europe. Elle peut par exemple s’allier à d’autres pays pour négocier les prix avec les firmes, pour demander et obtenir  la transparence sur les coûts de R&D, pour refuser que s’impose le concept de « valeur » promu par les firmes, qui ne sera qu’un modèle économique basé sur des hypothèses fragiles et contestables.

En conclusion, les prix pratiqués par les firmes relèvent aujourd’hui d’une financiarisation des firmes, qui trouvent plus rentable pour leurs actionnaires de vendre un médicament à 100 000 euros à un nombre réduit de patients plutôt que 10 fois moins cher à 10 fois plus de patients qui en auraient besoin. Soignants, patients et responsables politiques doivent en prendre conscience rapidement pour arrêter cette dérive mortifère.

La société a besoin d’une industrie…

Pierre Chirac, président de l’Association Mieux Prescrire

source http://www.prescrire.org/

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