Santé

Évaluer les risques d’un traitement : prendre en compte les données cliniques, la pharmacologie, et les particularités du patient

 

Est-ce que le traitement qu’on me propose comporte des risques ? Ces risques sont-ils fréquents ? Sont-ils graves ? Le traitement qu’on me propose est-il susceptible de compromettre l’effet d’autres traitements que je poursuis ?

  • L’évaluation des risques d’un traitement chez un patient est fondée sur les données disponibles de l’évaluation de ce traitement, sur des arguments de pharmacologie et sur la prise en compte des particularités propres à chaque patient.
  • La connaissance des effets indésirables d’un traitement (données issues des essais, des études, et de la pharmacovigilance) contribue à l’évaluation des risques pour les patients exposés.
  • Les essais cliniques sont peu adaptés à l’étude des effets indésirables. Mieux vaut colliger d’autres données (y compris de pharmacologie ou de physiologie) pour constituer un faisceau d’arguments suffisamment solide pour « gérer l’incertitude ».
  • Face à un patient, il est nécessaire de tenir compte de ses particularités, et d’envisager qu’elles constituent, elles aussi, des facteurs de risque d’effets indésirables du traitement.
  • Informer les patients aussi bien sur les risques potentiels d’un traitement que sur ses bénéfices escomptés, c’est leur donner les moyens de participer à l’évaluation de la balance bénéfices-risques du traitement, dans un contexte qui leur est propre.

Est-ce que le traitement qu’on me propose comporte des risques ? Ces risques sont-ils fréquents ? Sont-ils graves ? Le traitement qu’on me propose est-il susceptible de compromettre l’effet d’autres traitements que je poursuis ?

Répondre à ces questions élémentaires, que formulent plus ou moins explicitement les patients, est une des tâches des professionnels de santé.

Comment évaluer les risques d’un traitement ? Les éléments de réponse sont à tirer des données de l’évaluation de ce traitement, telles que publiées notamment par Prescrire, mais aussi du principe de précaution et d’une réflexion axée sur les particularités propres à chaque patient.

Le texte ci-dessous ne s’appuie pas sur une recherche documentaire habituelle Prescrire, mais sur la réflexion de la Rédaction en termes d’évaluation des risques d’un traitement et sur quelques références Prescrire importantes. Ce texte a pour seul objectif de conduire le lecteur à construire sa propre démarche pour évaluer le risque dans le cadre de la balance bénéfices-risques d’un traitement. Sa portée dépasse le cadre des traitements médicamenteux.

Colliger les données sur les effets indésirables d’un traitement et gérer l’incertitude
La connaissance des effets indésirables d’un traitement (formations initiale et continue) contribue grandement à l’évaluation des risques pour les patients exposés.

La construction de cette connaissance ne repose qu’en partie sur les données d’essais cliniques. D’autres sources d’informations sont souvent plus utiles.

Les essais cliniques sont peu adaptés à l’étude des effets indésirables. Au cours des essais cliniques, ce sont généralement les effets indésirables fréquents des traitements qui sont mis en évidence. Les effets indésirables rares, qui peuvent être graves, sont très rarement repérés.

Cependant, l’analyse des effets indésirables bénins mais fréquents, observés dans les essais cliniques, permet de prévoir la possibilité d’une « pyramide » dont la base est faite des nombreux effets indésirables bénins, et le sommet d’un petit nombre d’effets indésirables graves. Par exemple, l’observation dans des essais cliniques de troubles cutanés bénins fait craindre la survenue d’effets indésirables cutanés graves, dont des syndromes de Lyell. Autre exemple, des augmentations des transaminases font craindre la survenue de quelques hépatites fulminantes.

L’analyse clinique d’événements graves survenant chez un petit nombre de patients au cours des essais cliniques laisse penser que leur nombre peut devenir problématique à l’échelle de la population générale.

Par ailleurs, les patients inclus dans les essais cliniques sont sélectionnés et ne sont pas représentatifs des patients rencontrés en situation de soins. Les personnes ayant des particularités telles qu’un âge avancé, une insuffisance rénale, une polypathologie, une grossesse en cours, sont rarement incluses dans les essais cliniques, ce qui prive de données sur les effets indésirables dans ces situations à risques.

C’est néanmoins sur la base d’essais cliniques que les risques de cancers du sein liés à l’hormonothérapie substitutive de la ménopause ou les risques cardiovasculaires des coxibs ont été mis en évidence. Encore faut-il que les données issues des essais cliniques soient soigneusement examinées : les risques cardiovasculaires des coxibs ont longtemps été ignorés alors que les données étaient probantes. Les auto- et hétéro-agressivités liées aux antidépresseurs inhibiteurs dits sélectifs de la sérotonine sont longtemps passées inaperçues en raison notamment du vocabulaire de codage des effets indésirables. Par exemple, les épisodes de violence ou agressivité ont été décrits comme « hostilité » et leur gravité n’avait pas été prise en compte.

Quelques observations troublantes suffisent souvent à alerter. Les études observationnelles sont sujettes à de nombreux biais. Mais elles ont un intérêt indicatif car elles soulèvent des suspicions lorsqu’un signal apparaît.

Les observations faites par des professionnels de santé ou par des patients, sous forme de publications d’observations détaillées ou de notifications spontanées auprès des organismes de pharmacovigilance dans le monde, constituent des informations d’un poids important. La grande majorité des nouveaux effets indésirables mis en évidence après commercialisation le sont sur la base de la notification spon- tanée des professionnels de santé, et de plus en plus des patients eux-mêmes.

Ainsi, ce sont quelques observations fines de quelques cliniciens qui ont alerté sur les effets indésirables extrapyramidaux de la trimétazidine ; les ostéonécroses des mâchoires ou les fractures atypiques liées aux diphosphonates ; les ulcérations cutanées liées au nicorandil ; les atrophies des membres liées à l’exposition in utero au thalidomide.

Ce sont des observations de professionnels de santé qui ont alerté sur les hypertensions artérielles pulmonaires des anorexigènes amphétaminiques. La réalisation d’études épidémiologiques pour confirmer ce risque n’a eu d’autre « avantage » que de ralentir la décision de retirer ces médicaments du marché.

Gérer l’incertitude en s’appuyant sur un faisceau d’arguments. Globalement, les effets indésirables des traitements sont moins bien étudiés que les bénéfices. Il existe beaucoup d’incertitude et il manque des données sur les effets indésirables des traitements, particulièrement pour les traitements les plus récents (la minimisation des risques passe aussi par l’utilisation de médicaments anciens, mieux connus). Mais, en termes d’effets indésirables, des faisceaux d’arguments, même lorsqu’ils sont chacun de faible niveau de preuves, sont souvent suffisants pour être pris en compte, afin de ne pas nuire.

Pour les médicaments, tenir compte aussi d’éléments de pharmacologie et de physiologie
Pour évaluer les risques d’un médicament, et particulièrement ceux d’un médicament récent, il est utile de considérer les effets indésirables connus d’autres médicaments de la même classe pharmacothérapeutique ou ayant des parentés chimiques. Ainsi, les dépendances et toxicomanies à la tianeptine pouvaient être prévues du fait de la parenté de la tianeptine avec l’amineptine, connue pour exposer à ces effets indésirables. Les hypertensions artérielles pulmonaires et les valvulopathies liées au benfluorex pouvaient être prévues du fait de sa parenté avec la fenfluramine.

La connaissance des effets pharmacodynamiques d’un médicament permet de déduire une série d’effets indésirables de mêmes mécanismes : par exemple, des effets atropiniques, amphétaminiques ou des effets sérotoninergiques. Ainsi, la connaissance des effets des anti-inflammatoires et des cyclo-oxygénases laissait prévoir les effets indésirables des coxibs . La connaissance des effets pharmacologiques de la zopiclone et du zolpidem, proches de ceux des benzodiazépines, laissait prévoir des abus et dépendances.

Certains mécanismes tels que les hypersensibilités laissent prévoir des caractéristiques d’effets indésirables tels que la possibilité d’atteintes de multiples organes, ou la progression rapide des troubles.

Connaître quelques données sur le devenir des médicaments dans l’organisme. Quelques éléments du métabolisme d’un médicament sont à prendre en compte pour en évaluer les risques. Notamment, l’élimination ou non par le rein, une métabolisation par les systèmes enzymatiques saturables, l’intervention de mécanismes de transport exposant à des compétitions, les perturbations de l’absorption digestive.

Ces données laissent prévoir, par exemple, des accumulations en cas d’insuffisance rénale ou hépatique, ou des interactions médicamenteuses d’ordre pharmacocinétique.
Ainsi l’élimination rénale des héparines de bas poids moléculaire laisse prévoir des hémorragies chez les patients insuffisants rénaux ou âgés.

Profil d’effets indésirables : un outil de base. À partir de faisceaux d’arguments, en considérant leur niveau de preuves et la cohérence des diverses données, on peut dessiner un profil d’effets indésirables d’un médicament qui correspond à une liste de ses effets indésirables, hiérarchisée selon des critères de fréquence et de gravité.

Le profil d’effets indésirables d’un médicament permet d’avoir une vue synthétique de l’ensemble des effets indésirables connus, facilement mémorisables et classés. C’est un outil de base pour évaluer les risques auxquels les patients sont exposés. Le guide Prescrire « Éviter les effets indésirables par interactions médicamenteuses. Comprendre et décider » est notamment construit sur ces bases de réflexion.

Prendre en compte les caractéristiques des patients : indispensable
Pour évaluer les risques d’un traitement, les professionnels de santé disposent surtout de données éparses issues de grands groupes de patients, et exprimées en « moyenne ».
Face à un patient particulier, il faut tenir compte le plus possible de ses caractéristiques propres. Tel patient est en effet sur tel ou tel point vraisemblablement différent de la « moyenne » des patients inclus dans les études ou les essais.

Quelles sont les caractéristiques de « ce » patient qui constituent des facteurs de risque d’un effet indésirable particulier ?

Par exemple, le patient a-t-il des troubles cardiaques préexistants qui prédisposent à certains effets indésirables de certains médicaments ? Le patient a-t-il une défaillance des organes qui assurent l’élimination des médicaments (rein et foie particulièrement), l’exposant alors à un risque accru d’accumulation, et d’augmentation des effets indésirables dosedépendants de certains médicaments (cas des personnes âgées notamment) ? Le patient a-t-il un traitement en cours, l’exposant à des interactions pharmacodynamiques par addition d’effets ? Le patient a-t-il des particularités physiques ou psychologiques l’exposant à des effets indésirables de telle intervention chirurgicale, ou de telle intervention psychothérapique ?

En conclusion
À côté de l’évaluation des bénéfices d’un traitement, l’évaluation de ses risques est l’autre élément indispensable pour fonder au mieux une décision thérapeutique. La connaissance des effets indésirables des médicaments est très parcellaire au moment de leur mise sur le marché. Les données se complètent lentement au fur et à mesure du recul d’utilisation.

Informer les patients aussi bien sur les risques potentiels d’un traitement que sur ses bénéfices espérés, c’est leur donner les moyens de participer activement à l’évaluation de la balance bénéfices-risques du traitement dans un contexte qui leur est propre. C’est leur donner les moyens d’être acteur d’une décision thérapeutique mieux partagée et mieux adaptée.

http://www.prescrire.org/fr/2/95/47070/0/PositionDetails.aspx

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