Fausses signatures, anomalies apparentes de chèques, qui est responsable par Laurent Latapie avocat.
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu récemment par la Cour d’Appel de Paris, en octobre 2015 et qui vient aborder la question spécifique de la responsabilité de l’établissement bancaire face à des chèques faisant l’objet d’anomalies apparentes ou de signature imitée avec des discordances, de fausses ou mauvaises signatures.
S’il est vrai que l’établissement bancaire est tenu d’opter pour une position de neutralité à l’égard des affaires de ses clients et qu’il demeure soumis au devoir de non-ingérence, il n’en demeure pas moins que celui-ci doit procéder, en sa qualité de mandataire du compte bancaire pour le compte de son mandant, le client, aux vérifications d’usage.
Ainsi, l’établissement bancaire est tenu de procéder aux contrôles de rigueur sur les chèques en vérifiant notamment toutes les mentions et signes distinctifs de ces derniers.
La banque est en effet tenue de relever les anomalies apparentes d’un chèque qui lui est présenté et doit assumer les conséquences du risque qu’elle prend en s’en abstenant.
A cet égard, par anomalie apparente s’entendent et se distinguent les anomalies tantôt matérielles et tantôt les anomalies intellectuelles.
Les anomalies matérielles s’entendent de celles qui affectent la régularité même du titre, à savoir la falsification, l’imitation grossière d’une signature, le grattage etc… permettant d’engager sur cette seule base la responsabilité de l’établissement bancaire dans la mesure où l’altération est révélée par un simple examen du titre.
La question spécifique des anomalies intellectuelles est plus délicate car il est question d’analyser les facteurs intellectuels de présentation du chèque, tel que notamment un montant très élevé par rapport au débit habituel de l’utilisateur du compte, où le nombre important de chèques remis à l’encaissement, qui peuvent amener à créer quelques soupçons et générer à partir de la seule base de ces éléments objectifs, considérés comme hors-contexte, l’anomalie apparente, dite anomalie intellectuelle.
De façon générale, l’anomalie apparente s’entend comme celle qui ne doit pas échapper au banquier diligent, ce qui amène à une appréciation au cas par cas en fonction des circonstances de chaque espèce.
Ainsi, la jurisprudence vient clairement sanctionner l’anomalie apparente, notamment à l’égard de la signature du titre.
Dans cette jurisprudence qui nous intéresse et qui a été rendue en octobre 2015, la Cour d’appel de Paris vient profite du cas d’espèce pour rappeler la responsabilité de l’établissement bancaire.
Dans cette affaire, l’assistante de vie d’une femme âgée de 91 ans a été condamnée pénalement pour avoir frauduleusement émis 35 chèques provenant des formules lui appartenant, rédigés à son propre profit, ainsi qu’au profit de son mari et de ses proches, pour un montant total de 31 229,00 €, ce qui n’est pas rien.
Il apparaîssait que les chèques concernés avaient été volés et contrefaits par la bénéficiaire, laquelle était une employée de la titulaire du compte et qu’ils supportent une signature imitée.
L’établissement de ces faux ordres de paiement a été rendu possible à la suite d’une faute du titulaire du compte, qui n’a pas exercé une surveillance suffisante de son préposé et n’a pas réagi dès réception des relevés de compte attestant des débits frauduleux récurrents et ce, sur une longue période.
La question qui pourrait légitimement se poser est de savoir si, oui ou non, l’établissement bancaire peut s’exonérer de toute responsabilité dans la mesure où il y aurait une faute du titulaire du compte.
Dans pareil cas, le banquier ne serait tenu envers son client que s’il a lui-même commis une négligence.
En effet, l’établissement bancaire engage sa responsabilité et ne demeure tenu envers son client que s’il a lui-même commis une faute de négligence et ce seulement pour la part de responsabilité en découlant.
Dans le cas d’espèce, la Cour d’Appel de Paris considère que la banque engage sa responsabilité puisque les signatures qui figurent sur les chèques litigieux sont des imitations qui présentent de réelles discordances avec celles de la titulaire du compte et même des anomalies pour certains.
La falsification était telle qu’il ne semblait pouvoir échapper à l’examen d’un employé de banque normalement avisé qui ne peut s’abriter derrière le fait fautif qu’il n’a pas réactualisé la signature du titulaire du compte et que les mouvements sur ce compte étaient trop intenses pour qu’il soit vigilant, la banque étant dans ces conditions condamnées au paiement de la somme de 25 000,00 €.
Si la jurisprudence est extrêmement claire, le banquier commet une faute de négligence en payant un chèque dont la signature est grossièrement imitée, ou qui serait manifestement différente, de telle sorte que l’établissement doit être condamné à réparer le préjudice évalué au montant des sommes détournées.
Bien plus, la jurisprudence n’exonère pas plus sa responsabilité dans l’hypothèse où l’imitation ne serait pas grossière car le chèque est considéré n’avoir jamais valablement existé et le banquier ne doit pas décaisser sans titre régulier les fonds qui lui sont confiés.
Il y a donc lieu d’en déduire que le banquier, même en l’absence de faute de sa part, et sauf faute de la part du titulaire du compte ou du préposé dont il répond, n’est libéré envers celui-ci de son obligation de restitution des fonds reçus en dépôt, qu’en vertu d’un ordre de paiement revêtu de la signature authentique.
Ainsi, la banque ne peut être déchargée de sa responsabilité, même en présence d’un préposé du bénéficiaire du compte indélicat ou du déposant, alors même que ce dernier aurait agi en dehors du périmètre de l’exercice de ses fonctions.
Ainsi, et pour exemple, la jurisprudence précise que la circonstance que le préposé, comptable de la société titulaire des comptes, effectuait habituellement des opérations pour le compte de celle-ci, ne permet pas à l’établissement bancaire, en sa qualité de professionnel, de se prévaloir d’une créance légitime en un mandat apparent et a donc retenu sa responsabilité.
Ce régime des chèques contrefaits a donc subi une évolution jurisprudentielle comme l’exprimer encore cette jurisprudence évoquée d’octobre 2015 de la Cour d’Appel de Paris, et qui retient la responsabilité de l’établissement bancaire.
Ainsi, en l’absence de la faute d’un déposant ou d’un préposé de celui-ci, l’établissement bancaire n’est pas libéré envers le client qui lui a confié des fonds quand il se défait de ces derniers sur présentation d’un faux ordre de paiement, revêtu dès l’origine d’une fausse signature et n’ayant eu à aucun moment la qualité légale de chèque.
La jurisprudence précise en revanche que si l’établissement de ce faux ordre de paiement a été rendu possible à la suite d’une faute du titulaire du compte ou de l’un de ses préposés, le banquier n’est alors tenu envers lui que s’il a lui-même commis une négligence et ce seulement pour la part de responsabilité en découlant.
Il y a donc deux hypothèses à distinguer, suivant que le déposant ait ou non commis une faute.
La notion de comportement fautif du déposant mérite quelques explications complémentaires,
La jurisprudence distingue suivant le comportement fautif ou non du déposant.
En l’absence de faute de sa part, le banquier n’est pas libéré de son obligation de restitution en décaissant des fonds sans titre régulier.
Pour exemple, aucune faute ne peut être imputée au déposant pour les détournements de son préposé quand celui-ci par ses fonctions de secrétaire-comptable avait accès au chéquier et prenait toute précaution pour dissimuler ses agissements, en faisant disparaître les talons de chèque et en trafiquant les rapprochements comptables, comme le rappelle une jurisprudence d’octobre 2007.
Inversement, en présence d’une faute du déposant ou de son préposé, l’établissement bancaire est alors libéré, sauf si ce dernier commet lui-même une faute.
La jurisprudence considère que, tant bien même de faux chèques auraient été émis par le préposé du titulaire agissant dans le cadre de ses fonctions de chef comptable, il n’en demeure pas moins que le titulaire du compte est admis à engager la responsabilité de la banque pour moitié pour ne pas avoir effectué les contrôles qui auraient permis de découvrir la supercherie et de mettre fin aux agissements frauduleux.
Pour exemple, dans une autre affaire, l’établissement bancaire a vu sa responsabilité engagée non seulement pour ne pas avoir procédé à la vérification de signature de chèque mais également, pour ne pas s’être inquiété de ce que le solde du compte en question devenait débiteur.
Ainsi, l’établissement bancaire engage sa responsabilité pour ne pas avoir décelé une anomalie apparente figurant sur un chèque, notamment lorsque la signature est parfaitement discordante, très grossièrement imitée ou présente carrément de réelles discordances.
Dans cette jurisprudence d’octobre 2015 qui nous occupe, la Cour d’Appel de Paris a considéré que tant bien même l’assistante aurait été condamnée pénalement pour avoir frauduleusement émis 35 chèques, il n’en demeure pas moins que « la circonstance que l’auteur des infractions pénales commises au préjudice de Madame F. ait été condamnée à lui payer des dommages et intérêts en réparation de son préjudice, n’est pas de nature à priver cette dernière de son action dirigée contre la banque dont il recherche la responsabilité en invoquant une faute distincte des agissements sanctionnés au pénal », que la banque a péché par un défaut de surveillance manifeste des passages de chèques et conduit à un partage de responsabilité pour moitié sur le terrain pénal.
Ainsi, la Cour d’Appel de Paris considère que le banquier n’est pas libéré envers le client qui lui a confié des fonds quand il se défait de ces derniers sur présentation d’un faux, d’un chèque revêtu dès l’origine d’une fausse signature et n’ayant eu à aucun moment la qualité légale d’un chèque…