Cabinets médicaux
Santé
Certains cabinets médicaux sont inondés de brochures éditées par des géants de la grande distribution ou des labos pharmaceutiques. Qui, sous couvert d’informer les patients, font la promotion de leurs produits.Bien loin des messages de santé publique qu’on est en droit d’attendre en allant voir son médecin.
Une brochure qui promeut le « bien-manger » en recommandant… du ketchup. Quand il reçoit un lot de ce dépliant de la marque Heinz, vantant l’intérêt nutritionnel de ce produit, le Dr Philippe Arnold n’en revient pas. « Heinz omet de préciser que le ketchup contient une quantité non négligeable de sucre (25 %), ce qui risque d’entraîner très tôt une addiction au sucre par nos enfants », s’insurge-t-il. Pas question pour lui de laisser cette brochure à la disposition de ses patients.
Le Dr Arnold n’est pas souvent approché par des marques de la grande distribution. Ce sont surtout les laboratoires pharmaceutiques qui lui font parvenir des dépliants, par courrier ou via leurs visiteurs médicaux. « Mais avant de mettre une brochure dans ma salle d’attente, j’en ai toujours une lecture attentive », assure-t-il, précisant qu’il ne lui a jamais été proposé de contrepartie financière pour déposer un document dans sa salle d’attente.
Produits d’hygiène et industrie alimentaire
Les médecins, potentiels relais publicitaires pour les marques ? 60 Millions a voulu en savoir plus sur cette pratique. Après avoir visité une bonne douzaine de salles d’attente de généralistes, nous avons récolté plusieurs dizaines de dépliants qui usent des mêmes artifices. La plupart portent la signature de grands noms de l’industrie agroalimentaire et d’entreprises spécialisées dans les produits d’hygiène.
En couverture, le propos est tout à fait louable : tel dépliant propose de vous aider à respecter la peau sensible de bébé ; tel autre à réduire votre cholestérol au quotidien ; un autre encore vous informe de l’intérêt des protéines pour bien faire grandir votre enfant. Mais quand on ouvre ces brochures, le logo d’une grande marque apparaît toujours à un endroit ou à un autre.
Donner le sentiment d’une caution médicale
Pour les trois exemples précédents, il s’agit respectivement de Skip, de Danone et de Herta. Très souvent, une photo d’un ou de plusieurs produits vendus par la marque figure en bonne place. Et pour que le consommateur associe encore davantage le produit vanté aux messages « santé », il est courant que le visuel de la brochure reprenne celui de l’emballage du produit.
En même temps, la célèbre phrase « Demandez conseil à votre médecin », apposée presque toujours en couverture, donne le sentiment que le médecin cautionne cette démarche. Bref, la stratégie marketing est imparable.
La confusion est d’autant plus grande que, dans les salles d’attente, ces dépliants commerciaux se mêlent aux quelques brochures éditées par les pouvoirs publics ou par des associations de malades. Et l’analyse critique des documents montre que l’information santé – trop succincte – ne sert souvent qu’à enrober un message purement publicitaire (voir nos exemples détaillés dans le n° 464 de 60 Millions de consommateurs).
Les vaccins vantés par leurs propres fabricants
À l’exception des vaccins et des produits de sevrage tabagique, la loi française interdit toute publicité en direction du grand public – quels que soient le lieu et le support – pour un médicament délivré sous prescription médicale ou remboursable. Elle est en revanche autorisée pour un médicament non remboursable (contre la toux par exemple), mais contrôlée avant sa diffusion.
Lors de nos visites, nous n’avons pourtant récolté aucune brochure promotionnelle pour un médicament non remboursable. Ce n’est qu’une demi-surprise : dans une recommandation de décembre 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a désapprouvé la présence de ces publicités dans les salles d’attente.
Pour autant, les laboratoires pharmaceutiques n’en sont pas absents. À l’image des brochures éditées par Sanofi Pasteur MSD et GlaxoSmithKline pour leurs vaccins contre le cancer du col de l’utérus, que nous avons souvent retrouvées. D’autres firmes qui commercialisent des vaccins profitent de ces espaces pour faire la promotion de leurs produits. Pourquoi s’en priveraient-elles puisque la loi leur en donne le droit ?
Une information objective et désintéressée ?
Mais on peut quand même se demander si les laboratoires sont les mieux placés pour informer le grand public de manière objective et désintéressée sur leurs produits.
À l’heure où la réforme du médicament du ministre Xavier Bertrand entend encadrer plus strictement les relations entre les professionnels de santé et l’industrie, il serait bon que les autorités regardent d’un peu plus près comment, par qui et avec quelles éventuelles contreparties sont orchestrées ces opérations de marketing menées dans les salles d’attente des médecins.
D’après une enquête de Victoire N’Sondé et Patricia Chairopoulos publiée dans le n° 464 (octobre 2011) de « 60 Millions de consommateurs »
Une stratégie marketing bien rodée
Alors qu’ils peuvent faire leur publicité à la télévision, à la radio, dans la presse écrite et sur Internet, la présence des annonceurs dans les salles d’attente pourrait surprendre. Un ouvrage intitulé Wait Marketing, communiquer au bon moment, au bon endroit (éditions Eyrolles), de Diana Derval, apporte des éléments de réponse.
Cette spécialiste du marketing y explique pourquoi la salle d’attente d’un médecin est un lieu privilégié pour les as de la publicité. Parce qu’il y patiente pour une durée indéterminée, le consommateur offre du « temps de cerveau disponible » pour recevoir des messages publicitaires. A contrario, « lorsque la durée d’attente est maîtrisée (départ d’un train, arrêt de bus avec indication de délai d’attente), une partie des consommateurs vont vaquer à d’autres occupations aux alentours, ce qui les rend moins captifs », décrypte Diana Derval.
Quarante minutes d’attente en moyenne
De plus, « beaucoup de ces brochures justifient leur contenu par de prétendues cautions médicales, explique le Dr Grégory Debrus, membre de la Fédération nationale des associations médicales de nutrition. Il peut s’agir de références à des études scientifiques ou à des programmes de santé publique, ou encore de citations d’experts, souvent salariés de l’entreprise annonceuse… Quoi qu’il en soit, cela n’incite pas les patients à en parler à leur médecin puisqu’à leurs yeux, le produit est déjà validé ! »
Moment idéal, lieu parfait, caution scientifique : la salle d’attente cumule pas mal d’« atouts » pour les annonceurs. On y reste en moyenne quarante minutes, un temps suffisamment long pour lire plusieurs brochures plus ou moins informatives.
source : http://www.60millions-mag.com/2011/12/13/offensive-marketing-dans-les-salles-d-attente-7769