Opération Leclerc Obscur, Greenpeace est-il si transparent ?
L’ONG environnementale a mené fin octobre une série d’opérations spectaculaires contre Leclerc, afin de pousser l’enseigne à éliminer de ses rayons des fruits traités avec certains pesticides. Nouvel épisode d’une campagne de Greenpeace appelée « Course Zéro Pesticide », dont la logique n’est pas toujours facile à comprendre.
Nouvelle étape dans la campagne « Course Zéro Pesticide ». Entre le 24 et le 28 octobre, les militants de Greenpeace ont organisé des manifestations devant des Leclerc dans 16 villes de France, dans le cadre de l’opération « Leclerc Obscur ». Ces manifestations ont culminé avec le blocus de la centrale d’achat du Sud-Ouest, la Socamil, pendant toute une journée. Pourquoi seulement Leclerc ? Parce que c’est « le numéro un de la grande distribution » et que « le groupe refusait tout dialogue », répond Anaïs Fourest, chargée de l’agriculture à Greenpeace (1).
La campagne « Leclerc Obscur » entend dénoncer « ce que l’enseigne ne dit jamais », la « réalité bien sombre » d’agriculteurs qui n’ont « pas d’autre choix que d’utiliser des pesticides pour fournir les volumes nécessaires qui satisferont les exigences démesurées de Leclerc ». Greenpeace demande à l’enseigne d’éliminer en priorité les pesticides « les plus dangereux » de ses rayons.
L’association a fait analyser 10 échantillons de sol et d’eau de surface provenant de champs de pommes de terre français, ainsi que 13 échantillons de pommes de terre vendues en grande surface. Les analyses n’ont apporté aucune surprise, bonne ou mauvaise. Elles ont mis en évidence beaucoup de traces, y compris quelques molécules interdites depuis plus de 10 ans comme l’atrazine (un désherbant retiré du marché en 2002). La persistance de certains produits dans le milieu naturel est visiblement très longue. Il n’y avait rien d’anormal ou de contraire à la réglementation dans les échantillons en magasin. Les grandes cultures sont des déserts écologiques, lourdement traités, mais les professionnels travaillent dans les règles.
Information Greenpeace : les pommes françaises sont les moins chargées d’Europe en résidus…
L’organisation fonde aussi ses revendications sur des analyses de 109 échantillons de pommes à l’échelle européenne, dont 13 échantillons pour la France : 91 contenaient des résidus, mais aucun dépassement de seuil n’a été enregistré. Les pommes étaient conformes à la réglementation en vigueur. Les résultats sur le petit échantillon français sont même excellents : 6 pommes sur 13 ne comportaient aucun résidu, et 3 n’en avaient qu’un seul ! Aucun pays ne fait aussi bien. Précision, Greenpeace recherche seulement les traces de pesticides conventionnels, y compris sur les lots provenant de l’agriculture biologique (ce qui ne veut pas dire que les pesticides homologués en agriculture bio sont anodins pour la santé).
Sur la base de ces études, il est difficile d’imaginer ce que les centrales d’achat devraient exactement demander de plus à leurs fournisseurs de fruits et légumes. Loin des excès des années 1960 et 1970, les restrictions d’usage des pesticides sont lentes, mais continues. Ceux qui proposent des produits bio sont les bienvenus en grande distribution, ce segment est en croissance régulière.
Quand l’avocat de Greenpeace démolit les rapports… de Greenpeace
Concernant les pommes, la ligne de Greenpeace est difficile à suivre. En mai 2015, la branche française de l’ONG a sorti un rapport dont le titre était « Pommes empoisonnées : mettre fin à la contamination des vergers par les pesticides grâce à l’agriculture écologique ». Il a été largement repris par la presse. L’Association nationale pommes poires (ANPP) a attaqué Greenpeace en référé sur l’expression « pommes empoisonnées ». À la lecture, il apparaissait que Greenpeace n’avait en fait analysé aucune pomme. Tout était basé sur des prélèvements d’eau et de sol faits dans des vergers au printemps, alors que les arbres étaient en fleurs. L’audience s’est tenue en tout petit comité dans le bureau d’une juge du tribunal de grande instance de Paris, le 6 octobre. L’avocat de Greenpeace, Me Alexandre Faro, a développé une défense déconcertante. Selon lui, le but de Greenpeace « n’est évidemment pas de dénigrer ni les qualités, ni les propriétés des pommes ». D’ailleurs, « l’ANPP ne peut pas sérieusement prétendre que ce rapport [celui de Greenpeace, NDLR] se voudrait objectif, informatif voire scientifique » ! L’avocat l’a écrit dans ses conclusions. Manifestement, il était à court d’arguments pour justifier le titre « pommes empoisonnées ». Devant le juge, Me Faro a fait un parallèle entre le rapport de Greenpeace et le dessin animé « Blanche-Neige », entre les pommes du titre et celle de la sorcière, suggérant que le but, dans les deux cas, était de frapper par une sorte d’allégorie les esprits des consommateurs. Fin octobre, sur son site, Greenpeace insistait pourtant encore, et lourdement, sur la valeur et le sérieux scientifique de ses mesures… Interrogée, Anaïs Fourest admet une certaine « complexité ». Le tribunal doit rendre sa décision le 10 novembre.
Un point en revanche est limpide : Greenpeace travestit les faits en se présentant comme un défenseur des producteurs face aux exigences des grandes surfaces. Son but, depuis le début, est de faire pression sur les producteurs. C’est faute d’y arriver que l’ONG passe par l’intermédiaire des distributeurs. L’association Générations Futures avait montré la voie fin septembre avec un rapport lui aussi sujet à caution relatif aux salades en sachet. Et si les associations écologistes parlaient aux consommateurs comme à des adultes …