Difficile de savoir quels produits alimentaires comportent des nanomatériaux ! L’obligation d’étiquetage a été différée sous la pression, et nombre d’industriels n’ont pas voulu répondre à nos questions.
Loin d’être des ingrédients du futur, les nanoparticules se sont invitées dans notre quotidien depuis plusieurs années. En médecine, elles suscitent de grands espoirs. Mais dans les cosmétiques, et plus encore dans l’alimentation, elles inquiètent – principalement parce que leur usage demeure opaque. Car si la rumeur fait état de leur présence dans nombre d’aliments (confiseries, cafés solubles, charcuteries, soupes instantanées…), la réalité reste difficile à cerner.
On espérait en savoir plus cette année. En effet, depuis le 13 décembre dernier, le consommateur aurait dû voir indiqué « nano » sur les étiquettes des denrées alimentaires, derrière les ingrédients concernés. Du moins était-ce prévu par le règlement européen sur l’information du consommateur (Inco), au même titre que l’étiquetage nutritionnel ou l’origine des viandes. Seulement voilà…
Discordance entre instances européennes
Décembre 2013 : la Commission européenne propose d’exempter de la mention « nano » les additifs utilisés depuis plusieurs années. Motif invoqué ? Cette indication risque de« jeter la confusion parmi les consommateurs » en laissant entendre que ces additifs seraient nouveaux. À ce titre, la nanosilice, employée couramment comme antiagglomérant (E551) dans de nombreux aliments en poudre, passerait à la trappe.
Autre entorse à la transparence : un seuil de 50 % de nanomatériaux dans un ingrédient à partir duquel on doit signaler leur présence. La proposition va pourtant à l’encontre d’un avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui plaide en faveur d’un seuil de 10 %, en raison de l’incertitude actuelle sur les risques sanitaires des nanotechnologies.
La transparence attendra
Mars 2014 : après un débat houleux, les députés européens rejettent la proposition de la Commission. À quand une nouvelle version ? D’après la Répression des fraudes, elle pourrait être publiée (sans certitude aucune) dans les mois qui viennent, voire courant 2016. Bref, la transparence attendra.
Pour l’heure, les industriels jouent la montre, le temps notamment que la Commission européenne révise la définition du nanomatériau. « La notion de “nanomatériaux” est mouvante et fait l’objet de plusieurs définitions, explique l’Association nationale des industries alimentaires (Ania). Dès que cette définition sera officiellement adoptée, l’étiquetage pourra se mettre en place. »
Flirter avec les seuils
Pour certains fabricants, l’enjeu sera de mettre au point ou d’utiliser des nanomatériaux dont la proportion et la taille pourront flirter avec les seuils fixés, sans les dépasser. Objectif : conserver leurs propriétés, tout en échappant à l’obligation de les mentionner…
De fait, se réfugiant derrière la protection du secret commercial ou le souci de ne pas effrayer le consommateur, « l’industrie agroalimentaire est extrêmement prudente lorsqu’il s’agit de communiquer sur ces sujets », souligne un rapport consacré à l’utilisation des nanomatériaux dans les PME françaises.
Des fabricants bien taiseux !
Nous en avons eu la confirmation. En octobre dernier, nous avons demandé à 100 entreprises agroalimentaires (Nestlé, Danone, Heinz, Mars, Panzani, Nespresso, Toupargel…) si elles utilisaient des nanoparticules sous la forme d’additifs (E551, E550, E170, E171, E172), de nanotextures, d’ingrédients en nanoencapsulation ou de nanomatériaux utilisés dans les emballages alimentaires. Six semaines plus tard, près de 75 % des entreprises sollicitées n’avaient pas donné suite à notre courrier.
Parmi les 26 réponses reçues, 25 entreprises ont affirmé ne pas utiliser de nanoparticules ; une seule – Nestlé – n’a pas souhaité communiquer, « à ce stade », sur le sujet. Quelques grandes entreprises, comme Unilever, n’en expriment pas moins leur intérêt pour les nanotechnologies :« Nous pensons qu’il existe un véritable potentiel pour créer de nouveaux bénéfices pour les consommateurs en utilisant des nanotechnologies de manière sûre et responsable. »
Avec les moyens du bord
Encore faut-il que les fournisseurs soient transparents. Dans leurs réponses, certaines sociétés affirment avoir vérifié « en interne et auprès de [leurs] fournisseurs les composants utilisés pour [leurs] produits » (Labeyrie), ou encore « intégré une exigence spécifique sur ce sujet dans les cahiers des charges conclus avec les fournisseurs » (Toupargel). Mais en l’absence de méthode officielle de détection des nanomatériaux, chacun fait avec les moyens du bord.
Selon le ministère de l’agriculture et de l’agroalimentaire, il n’y a pas lieu de s’inquiéter : « Les applications commerciales des nanotechnologies dans l’aliment restent marginales », peut-on lire sur son site. D’ailleurs, « aucune demande d’autorisation, obligatoire avant toute mise sur le marché d’un nouvel aliment, n’a été recensée au niveau européen »… C’est un peu vite oublier les additifs déjà utilisés sous forme de nanoparticules !
- Une question de santé publique…