Acheter « made in France » est presque devenu une cause nationale ces derniers jours.
Il y a quelques mois, Que Choisir Argent publiait une enquête sur le sujet. Pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce patriotisme consumériste, nous republions, en accès gratuit, cet article de janvier 2010.
Parlons d’un temps que les moins de trente ans n’ont pas pu connaître : les autos miniatures Majorette étaient alors estampillées « Made in France », les étiquettes tricolores fleurissaient sur les articles de sport, d’électroménager, aussi bien que sur les téléviseurs Radiola ou sur les vélos de marque Lejeune ou Manufrance. Il allait de soi qu’un polo ou une chemise de marque française aient été fabriqués dans l’Hexagone. Dans le domaine du textile et de la chaussure, la concurrence était principalement italienne. Quant à l’outillage, l’horlogerie comme la vaisselle, l’automobile ou l’électroménager, l’industrie française des biens de consommation était avant tout en compétition avec des pays frontaliers, comme l’Allemagne et la Suisse ou d’Outre-Manche. Avec la concurrence asiatique et aussi celle des pays d’Europe de l’Est, la donne a bien changé : le siège historique de Manufrance à Saint-Etienne est dorénavant consacré à des activités tertiaires, les vélos Lejeune ont disparu, Limoges produit de moins en moins de porcelaine et l’avenir de la société Duralex, dont les fameux verres qui garnissaient les tables de nos réfectoires ont marqué des générations d’écoliers, reste incertain.
Mondialisation oblige, l’industrie des biens de consommation français a inexorablement chuté, en premier lieu plus à cause de l’effondrement du coût du transport et des télécommunications que du prix de la main-d’œuvre, qui varie de 5 à 25 % du coût de la production, ainsi que le souligne une étude de 2006 du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Dans ce contexte, les étiquettes « Made in France » ont peu à peu quitté nos rayons et ne se sont même plus retrouvées dans ceux de l’enseigne Boulanger qui pourtant promouvait, jusque dans les années quatre-vingt-dix, au sein de ses points de vente, les produits fabriqués en France.
Aujourd’hui, 80 % des biens de consommation vendus dans la grande distribution sont produits en Chine, au Maghreb ou en Europe de l’Est. Selon les chiffres de l’Observatoire français de la conjoncture économique, le taux d’importation est supérieur à 35 % dans le secteur du textile, de l’habillement, des équipements du foyer ou de l’automobile. Il a augmenté de 5,3 % en 2008, tandis que le déficit du commerce extérieur atteignait un record de 50 milliards d’euros.
Que signifie « made in France »
Pour mériter l’appelation « Made in France », comme le souligne Joëlle Dafonceka, chargée de mission pour l’Union des industries textiles, l’UIT, « il n’est pas obligatoire de marquer l’origine d’un produit et les entreprises qui le font peuvent être confrontées à deux types de difficultés. Il y a une divergence d’interprétation sur les conditions de marquage entre les douanes et la DGCCRF. Pour les douanes, c’est le lieu où est conçu le vêtement qui doit déterminer son origine, alors que pour la DGCCRF, il faut par exemple que le vêtement ait également été tissé ici. Depuis 1986, il y a un consensus qui n’oblige plus à noter l’origine de production. »
En l’absence de texte clair, l’usage permet d’estampiller « Made in France » toute marchandise dont au moins 45 % de la valeur ajoutée est produite en France.
Une prise de conscience des consommateurs
À l’exception d’initiatives isolées, telle la proposition de loi visant à instaurer un label « 100 % France » initiée en 2005 par Pierre Lellouche, député et conseiller de Paris ou de l’indignation de Ségolène Royal, en 2007, au moment où la marque de lingerie Aubade délocalisait une grande partie de sa production tout en continuant d’estampiller ses produits « Made in France », les « politiques » investissent peu le terrain du patriotisme économique.
La relance par la consommation n’est pas au programme et rien ne semble figurer dans les cartons du gouvernement pour valoriser auprès des consommateurs la production locale. Pourtant, au Canada, les principaux syndicats exigent une valorisation des produits « Made in Canada », le Japon taxe à 900 % les importations de riz étranger, tandis que le plan de relance initié par Barak Obama aux USA comporte une clause « buy America » s’inscrivant dans la pure tradition protectionniste américaine. Du côté des industriels comme des distributeurs, le silence est de mise sur le sujet, même parmi ceux qui ont décidé de relocaliser leur production, comme Geneviève Lethu dans le secteur des Arts de la table ou Eugène Perma, le groupe spécialisé dans les soins de beauté, qui a annoncé en septembre dernier vouloir produire toute la collection de sa marque de lotions capillaires Pétrole Hahn à Reims. Les distributeurs, qu’il s’agisse d’enseignes spécialisées ou généralistes, ne sont pas plus loquaces, dans un contexte où la pression sur les coûts exercés sur leurs fournisseurs ne peut qu’inciter à la production dans des pays à bas coûts et, où le prix reste le principal critère d’achat des consommateurs.
La crise économique actuelle fait cependant ressentir ses effets sur les mentalités. Ainsi, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l’origine des produits. Depuis quelques années déjà, grâce au développement du commerce équitable et des produits biologiques, ils accordent plus d’importance aux indicateurs sociaux et environnementaux dans leurs comportements d’achat. L’engouement pour le développement durable, dans le contexte économique actuel, se traduit donc par un léger regain pour les produits fabriqués en France, comme le souligne Vincent Martin, directeur du service de l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie, l’Acfci, dédié à l’appui aux entreprises. « On peut observer les frémissements d’un début d’engouement pour les produits « Made in France », qui s’inscrit dans une démarche d’intérêt pour les conditions sociales et environnementales, dans lesquelles ils sont conçus ». Une tendance qui n’a pas échappé aux entrepreneurs du Net, où vient de se créer le site Madine France (www.madine-france.com) pour permettre aux consommateurs d’accéder directement aux produits français.
Selon un sondage CSA commandé par le groupement d’opticiens Atol et publié en juin dernier, plus d’un consommateur sur cinq déclare acheter plus souvent français depuis la récession. Ils seraient 39 % prêts à payer jusqu’à 10 % plus cher contre la garantie de l’origine du produit. Pour l’immense majorité d’entre eux, il s’agit avant tout de faire un geste pour l’emploi. Une tendance profonde, selon Philippe Peyrard, Directeur général d’Atol et fondateur avec Vincent Gruau, P.-D.G. de Majencia (fabricant de matériel de bureau qui a relocalisé la totalité de son activité en 2006), du Comité des entrepreneurs pour un développement responsable de l’économie, le Cedre. « Il s’agit d’une association d’entrepreneurs qui veut inciter les industriels, et les patrons en général, à ne pas raisonner à court terme et à choisir de payer des salaires plutôt que des factures de pétrole ».
Délocaliser, ce n’est pas la panacée
Une enquête du MIT, Massachusetts Institute of Technology, menée en 2006 auprès de 500 entreprises, démontre que les délocalisations, comme la production au plus bas coût, ne sont pas nécessairement synonymes de réussite. Productivité plus faible, turn-over important, faible qualification, coût élevé du transport, non-respect des commandes… Tous ces facteurs impactent fortement sur le coût final d’une marchandise. Un constat conforté par l’analyse du cabinet de conseil Katalyse qui révèle que sur 100 entreprises interrogées l’année dernière, 10 % sont déçues par la délocalisation.
Les prémices d’une relocalisation
Il est vrai que de plus en plus d’entreprises font le choix isolé de produire en France, pour éviter les aléas des délais de livraison, la casse, les risques de contrefaçon, mais aussi pour profiter des savoir-faire locaux. Il s’agit bien souvent de PME, tel le fabricant des chaussettes Bleuforêt, aujourd’hui référencé dans toutes les enseignes de distribution et qui a refusé, au risque de disparaître, de délocaliser son activité, comme le souhaitait Dim, son principal donneur d’ordre de l’époque. Aujourd’hui, la marque produit 100 % de sa production dans sa filature de Vagney dans les Vosges, qui embauche 240 personnes, et met en avant cet argument sur un marché dominé à 90 % par les exportations étrangères.
Le fabricant de jouets Smoby a également décidé de rapatrier dans le Jura une partie de sa production, suite à des problèmes de livraison qui l’ont conduit en 2007 à ne pas pouvoir fournir pendant les fêtes de Noël certains de ses produits phares. Un manque à gagner qui aurait pu être fatal à la marque, victime par ailleurs de contrefaçon dont certains modèles ont mis en danger la santé des consommateurs.
Ainsi, selon la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), ce sont avant tout la stabilité macro-économique, politique, la qualité des télécoms, bien avant le coût de la main-d’oeuvre qui détermine le choix de localisation des entreprises multinationales, notamment pour les productions qui nécessitent une qualification minimum. Néanmoins, même dans les secteurs à faible qualification, la proximité avec le destinataire final est un facteur de plus en plus important. Ainsi, jusqu’à la crise financière de l’automne 2008, nombre de marques de prêt à porter délaissaient les sous-traitants chinois au profit de l’industrie textile du Maghreb, sur des marchés où le nombre de collections se multiplie régulièrement.
Dans l’industrie du jouet, depuis 2007, près de la moitié des 8 000 entreprises chinoises spécialisées ont fermé, en raison de l’augmentation du coût de la main-d’oeuvre, mais aussi des problèmes de sécurité, de qualité, de délais de livraison. Des raisons qui ont également conduit Geneviève Lethu (son enseigne des Arts de la table compte 160 magasins) à baisser la part de sa production en Asie de 40 à 10 % depuis 2003, au profit de prestataires français.
Ces relocalisations restent certes pour l’instant anecdotiques, mais elles touchent plusieurs secteurs emblématiques et historiques de l’industrie française, comme l’automobile. C’est l’exemple du groupe Renault qui, pour répondre à la demande sur son modèle à gros succès Clio 2, a ouvert des lignes de production dans son usine française de Flins, en plus de celle de Novo Mesto en Slovénie. Le porte-parole du groupe précise en outre que la mesure, à l’origine de la création de 400 emplois, s’inscrit également dans le cadre des engagements pris lors du lancement du plan de soutien du gouvernement au secteur. Le groupe vient également d’annoncer sa volonté de produire à Flins ses futurs modèles électriques à partir de 2012.
La qualité des bureaux d’étude français, comme le maintien de quinze fabricants dans le bassin d’emploi d’Oyonnax et la possibilité de gérer au plus près la maîtrise d’œuvre, ont conduit le groupement coopératif Atol à choisir de produire ses modèles de montures interchangeables sur ce site. Innover et investir dans la recherche et le développement sont également les deux leviers de la réussite dans le secteur du cycle. Intercycle, qui emploie soixante-cinq salariés à la Roche-sur-Yon, maintient son activité grâce aux commandes des collectivités locales, qui achètent les deux tiers de sa production de 60 000 pièces, dans le cadre d’opérations comme les vélos en libre-service. Dans le secteur de l’électroménager, de nombreux groupes ont aussi maintenu une production en France. C’est l’exemple du groupe Whirlpool, dont la stratégie européenne repose sur la production dans un seul pays d’une même famille de produit, avec au total dix centres de production. C’est à Amiens que le groupe fabrique ses sèche-linge explique Vincent Rotger, directeur marketing de Whirlpool France, qui compte 220 salariés à son siège social et 550 dans son usine d’Amiens. Son concurrent, le groupe Fagor-Brandt, fabrique, quant à lui, 60 % de ses produits dans l’Hexagone sur cinq sites de production. Le groupe Seb, sous ses marques Rowenta, Seb et Moulinex, maintient aussi, dans une certaine mesure, une production en France employant 300 salariés.
Entretien avec Malo Bouëssel du Bourg, Directeur de l’association Produit en Bretagne
Que Choisir Argent : Pouvez-vous nous présenter l’association Produit en Bretagne ?
Malo Bouëssel du Bourg : Cette association a été créée en 1993 à l’initiative de quatre entrepreneurs bretons issus du secteur agro-alimentaire, de la grande distribution et de la presse. Ils se sont réunis autour de ce constat : si nous ne nous prenons pas en main, que nous ne faisons rien pour développer l’emploi en Bretagne, la région deviendra un véritable désert. Ils venaient tous d’horizons différents, mais se sont accordés sur une démarche de développement territorial durable et se sont fixés plusieurs objectifs. En premier lieu, développer les entreprises et favoriser l’achat militant, mais aussi défendre l’emploi et le savoir-faire breton en Bretagne, en France et à l’export. Il s’agit aujourd’hui du premier réseau de décideurs bretons, nous représentons 100 000 salariés par le biais de nos 220 adhérents, qui cumulent un chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros. Il s’agit d’assureurs, de banques, de producteurs de chips ou d’algues, de transporteurs routiers, de fabricants de cordons de lunettes ou de tricot, de distributeurs c’est très varié, nous allons même bientôt accueillir un granitier.
QCA : Quelles sont les conditions exigées pour devenir membre de l’association ?
M. B. du B. : En premier lieu, le chef d’entreprise doit expliquer ses motivations, la deuxième étape concerne la labellisation de ses produits. Pour permettre aux produits de porter notre logo, l’entrepreneur doit accepter un audit mené par un cabinet spécialisé indépendant. L’objectif est de vérifier que chaque produit est conçu en Bretagne et dans tous les cas de figure, au minimum 70 % de sa valeur ajoutée doit être issue de la région. Par exemple, des crevettes peuvent être importées, mais elles doivent être cuisinées en Bretagne. Il n’est pas possible de les labéliser si elles sont juste conditionnées. Nous comptabilisons aujourd’hui plus de 2 700 produits labellisés. Nos membres se répartissent entre différents collèges en fonction de leur secteur d’activité et y visent à impulser une véritable démarche d’entraide, pour promouvoir des initiatives autour des trois piliers du développement durable : le social, l’environnemental et le culturel. Notre rôle est d’être un facilitateur pour les conduire vers de bonnes pratiques, nous les incitons tout autant à recruter des jeunes en alternance qu’à développer la langue bretonne !
QCA : Comment incitez-vous vos adhérents à mettre en oeuvre des comportements socialement et écologiquement responsables ?
M. B. du B. : Nous préparons actuellement un guide sur les bonnes pratiques, nous organisons également avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie des rencontres pour inciter nos adhérents à réaliser des bilans carbone. Nous menons par ailleurs de multiples initiatives de sensibilisation auprès du grand-public pour inciter les enfants au respect de l’environnement ou à adopter une alimentation saine. Nous organisons chaque année un prix culturel pour soutenir ce secteur, notre champ d’action est très varié et concerne également l’emploi.
L’union fait la force
Mettre en avant le savoir-faire régional ou national en surfant sur le patriotisme économique, c’est l’objectif de la majorité des labels et groupements qui réunissent les PME d’un secteur d’activité ou d’un bassin d’emploi. Ainsi, face au succès du pionnier « Produit en Bretagne » (voir interview ci-dessus), de plus en plus de fabricants d’un même territoire, dans le Jura, par exemple, se réunissent pour valoriser auprès des consommateurs leur production locale. Le dernier salon Made in Jura organisé en octobre dernier a fait le plein de visiteurs, la tendance semble s’inscrire dans la durée. Ainsi, de plus en plus d’acteurs d’un même secteur économique dépassent les logiques de concurrence, pour mutualiser leurs moyens de communication et se démarquer des importateurs.
Pour la coutellerie haut de gamme, comme l’industrie du luxe ou de la joaillerie, produire en France, c’est aussi le moyen indispensable pour conserver la clientèle japonaise ou américaine, prête à mettre le prix pour s’offrir le savoir-faire français. Un état de fait qui a conduit de nombreux industriels du luxe à ne pas délocaliser leur activité. C’est ce qui permet aussi à la filière cosmétique de conserver 46 000 salariés hors secteur de la parfumerie. « Produire en France est indissociable de l’image du luxe. C’est l’exemple des acteurs du marché du parfum à Grasse, qui se sont battus à l’échelle européenne pour préserver la qualité des molécules naturelles. Des initiatives comme la Cosmétic valley* labellisée pôle de compétitivité, permettent à nos industriels de renforcer leur attractivité », explique Régine Ferrère, déléguée générale de la Confédération nationale de l’esthétique parfumerie. C’est le cas des couteliers de Thiers, qui représentent 1 000 emplois et qui, dès 1993, ont créé une confrérie dédiée. Le secteur représente une cinquantaine d’entreprises qui se sont regroupées en 2006 au sein d’une marque commune « Esprit de Thiers » protégée par une AOC.
Dans la même optique, l’Union française de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie, des pierres et perles, la Bjop, a créé, en collaboration avec la Monnaie de Paris en 2006, le label « poinçon Joaillerie de France » : « cela suppose de respecter les règles de l’art de la joaillerie française. Toutes les étapes de fabrication doivent être réalisées ici, le cahier des charges impose également de respecter des normes environnementales et éthiques, qui interdisent par exemple d’utiliser des pierres précieuses issues de pays en guerre », explique Frédéric Mathon, Président de la Bjop.
« Nos emplettes sont nos emplois »
Si l’implication des pouvoirs publics et la volonté des acteurs d’un même secteur sont indispensables pour valoriser et développer la production industrielle des biens de consommation en France, c’est avant tout au moment de notre achat dans les rayons des magasins que la bataille se joue. Il ne s’agit pas d’adopter des comportements xénophobes et rétrogrades, mais d’avoir conscience que c’est avant tout la demande qui déterminera l’offre et influencera ou non les industriels à maintenir ou développer des sites de production en France. Fin 1994, une campagne orchestrée par les Chambres de commerce et d’industrie afin de promouvoir les « produits bien de chez nous » avait popularisé le fameux slogan « nos emplettes sont nos emplois ». Peut-être, aujourd’hui, pourrait-il redevenir à la mode.
Cédric Morin