Faut-il avoir peur du compteur Linky par 60 millions de consommateurs
Le déploiement du nouveau compteur électrique suscite de nombreuses craintes. Résistent-elles à l’épreuve des faits ? Nous avons vérifié.
Qui faut-il croire ? Les opposants au nouveau compteur électrique Linky se déchaînent depuis le début de son déploiement national, en décembre 2015. Ils multiplient les tracts, les communiqués à la presse et les lettres aux maires. Avec un certain succès, puisque plusieurs municipalités ont pris une délibération pour refuser l’installation de Linky sur leur territoire. Deux principales associations sont à la manœuvre : Robin des Toits qui s’est fait connaître par son opposition aux antennes-relais, et Next Up, qui insiste sur les risques d’incendie, les pannes des appareils électriques et les dysfonctionnements de la domotique.
Ce compteur va bouleverser notre manière de consommer
En face, Enedis assure que la réglementation est scrupuleusement respectée. Enedis, c’est le tout nouveau nom d’ERDF – la filiale d’EDF chargée de la gestion du réseau de distribution de l’électricité sur la presque totalité du territoire français. Mais son « Dormez tranquille » n’est pas tenable. Ce nouvel appareil ne se contente pas de compter. Il communique et il va bouleverser notre manière de consommer l’électricité. Il fait partie de ces multiples capteurs des « villes intelligentes » en cours de construction. On ne peut donc pas faire comme s’il s’agissait juste de la pose d’un compteur un peu plus moderne.
Passer en revue les principales accusations portées contre Linky permet de souligner le caractère excessif de certaines d’entre elles. Mais cela fait aussi ressortir des besoins, qu’il s’agisse de recenser les incidents, suivre l’évolution des factures, étudier les nouvelles offres, réaliser des mesures… Un comité de suivi Linky existe déjà au sein du ministère de l’Environnement. Et s’il sortait de l’ombre pour se transformer en véritable observatoire Linky, qui rendrait public son programme de travail et son rapport annuel ?
Dangereux ? Des réactions controversées
Voilà sans doute la question la plus inquiétante : Linky émet-il ou non des ondes électromagnétiques dangereuses pour la santé ? Les opposants rappellent que les radiofréquences ont été classées potentiellement cancérogènes pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Soit, mais c’était plutôt l’utilisation du téléphone portable qui était visée. Alors, qu’en est-il précisément de Linky ?
Pour les opposants, il n’y a pas de doute
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a été saisie par le ministère de la Santé et devrait rendre un avis d’ici la fin de l’année. On peut trouver que c’est bien tardif. Certes, mais à l’inverse on peut aussi regretter que les opposants estiment l’affaire entendue : pour eux, Linky est dangereux. Le dispositif utilise deux technologies pour communiquer : le courant porteur en ligne (CPL) entre le compteur et le concentrateur de quartier, et le réseau GSM – le même que pour les téléphones portables – entre le concentrateur et le centre de gestion d’Enedis.
Le courant porteur en ligne accusé de tous les maux
On peut s’étonner que le courant porteur en ligne concentre les critiques, car il est déjà largement utilisé. Les fournisseurs d’accès Internet notamment proposent à leurs clients des prises CPL pour faire communiquer leur box Internet avec leur box télé. Mais les opposants font valoir qu’avec Linky, les clients n’ont pas le choix, le CPL leur est imposé en masse.
Le CPL consiste à ajouter une fréquence supplémentaire sur les fils électriques existants pour transporter des données. La fréquence pour Linky est à 75 kHz. Est-ce dangereux ? L’association Robin des Toits soutient que oui. Elle explique que le réseau électrique a été conçu pour supporter un courant à 50 Hz, pas une fréquence à 75 kHz. Selon eux, l’ajout de la fréquence ferait « rayonner tout le réseau » en permanence.
Des critiques dénuées de fondement
Le problème, c’est que nous avons demandé fin février à Robin des Toits quelles mesures avaient été faites pour mesurer ce rayonnement. Mais l’association n’a pas pu nous en fournir et elle a répondu qu’elle était en train de les organiser ! Quant à la vidéo qui circule et montre une sonde avec des chiffres qui montent lorsque l’on s’approche du compteur ou d’une prise électrique, difficile de lui accorder la valeur de preuve qu’elle prétend avoir. Tous les appareils électriques rayonnent !
De son côté, Enedis fait des mesures. Ces dernières montrent qu’il y a bel et bien un champ supérieur lorsque le compteur communique, mais qu’il est très faible. La valeur relative du champ électrique généré (écart entre le compteur et le bruit ambiant) est de l’ordre de 0,1 V/m à 20 cm de l’appareil. On ne distingue plus rien à partir de 30 cm.
Un réel besoin d’études indépendantes
Le Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques (Criirem) a également fait des mesures. Résultat : « Les lieux proches des systèmes CPL et des compteurs télérelevés sont exposés à des champs électromagnétiques faibles. » Il préconisait néanmoins « une distance de prévention de deux mètres pour des expositions non impactantes dans les lieux de vie ». L’Anses pourrait-elle reprendre cette recommandation ?
Quant à l’Agence nationale des fréquences (ANFR), elle vient de rendre publiques les siennes. Elles sont rassurantes : le compteur en lui-même n’émet pas plus qu’un compteur classique. Et lorsqu’il communique via les CPL, l’augmentation des émissions est très faible. L’ANFR promet de poursuivre ses mesures chez des particuliers. Elle peut déjà être saisie par tout citoyen qui souhaite faire mesurer l’exposition aux ondes électromagnétiques dans un lieu d’habitation ou un lieu accessible au public.
Inutile ? Tout dépendra des offres à venir
Le principal objectif de Linky est rappelé dans la loi de transition énergétique votée en août 2015 : « Inciter les utilisateurs à limiter leur consommation aux périodes de pointe. » Comment Linky peut-il y parvenir ? Il faut commencer par rappeler que le compteur permet un comptage plus précis. Le gestionnaire du réseau récupère tous les jours les données alors qu’il devait auparavant attendre le passage du releveur tous les six mois ou l’autorelevé des clients tous les mois. Le gestionnaire est ainsi en mesure de connaître chaque jour la consommation de la veille, heure par heure.
Inciter à consommer quand la demande est plus faible
Ce comptage plus précis va permettre aux fournisseurs (EDF, Lampiris, Direct Energie…) de proposer de nouvelles formules tarifaires. Nous en avons un premier exemple avec l’offre Elec Week-end, proposée depuis un an par Engie (ex-GDF-Suez). Les clients déjà équipés de Linky se voient offrir un tarif plus avantageux non seulement la nuit, comme la plupart des heures creuses actuelles, mais également le week-end. Linky permet de mesurer leur consommation pendant ces deux périodes et d’établir leur facture en conséquence. L’objectif principal est atteint puisque les clients sont incités à consommer la nuit et le week-end, autrement dit lorsque la demande globale est plus faible.
Le compteur permettra une autre forme de délestage lors des périodes de pointe. Nous empruntons à nos confrères australiens de la revue Choice un exemple en vigueur dans l’un de leurs États : un fournisseur local propose à ses clients un contrat qui prévoit que leur système de climatisation est coupé pendant dix minutes toutes les heures en cas de pics de consommation. Cela n’affecte pas la température du logement et permet de réduire la consommation d’électricité. En contrepartie, les clients obtiennent une remise sur leur facture. Le fournisseur intervient à distance pour couper et réenclencher le système connecté au compteur.
Le compteur sera bénéfique s’il est bien utilisé
Linky ne sert donc pas à rien. Il peut notamment faciliter l’ajustement de la consommation et de la production d’électricité, à l’échelon national mais aussi local. Comme le disent nos confrères australiens, le compteur peut être bénéfique pour les consommateurs et pour le réseau s’il est bien utilisé. Tout dépendra donc des offres qui vont être faites et qui devront être suivies de près, le risque étant grand pour les consommateurs d’être confrontés à des propositions complexes et difficiles à comparer.
Des avantages pratiques réels
Le nouveau compteur n’a pas été conçu pour être directement utile au consommateur, il n’en présente pas moins quelques avantages pratiques réels : plus la peine de perdre une demi-journée de travail pour ouvrir la porte au releveur. Les clients ont en effet l’obligation aujourd’hui de laisser l’accès au compteur au moins une fois par an. S’il est à l’intérieur du logement, cela implique d’être présent. Avec Linky, la relève s’effectuera à distance. Idem pour la mise en service qui devrait donc être plus rapide lors de l’entrée dans un nouveau logement.
Des factures plus précises
Terminé également, les factures estimées entre deux relevés. Elles seront systématiquement établies à partir de la consommation réelle. Les clients pouvaient toutefois d’ores et déjà envoyer un autorelevé pour être facturés à partir de l’index qu’ils communiquaient. Le nouveau compteur les dispensera de cette opération.
Les compteurs défectueux devraient enfin être beaucoup plus rapidement détectés. Ils sont à l’origine de nombreuses réclamations. La facture de rattrapage peut couvrir une longue période et les sommes en jeu être importantes. Les compteurs communicants, eux, envoient un signal d’une microseconde toutes les dix minutes pour garantir leur bon fonctionnement. Si l’un d’eux tombe en panne, son repérage sera quasi-immédiat.
L’installation est à la charge d’Enedis
Aucune somme n’est réclamée aux clients lors de la pose de Linky. Mais la fabrication et l’installation du compteur ont bien un coût, estimé à 5 milliards d’euros. Il devrait être largement compensé par les économies faites par Enedis. Ce dernier indique qu’il va réaliser à distance 70 % des opérations auparavant effectuées sur place, ce qui lui permet de réaliser d’importantes économies sur le personnel. La surveillance rapprochée du réseau va aussi permettre à Enedis d’éviter les « pertes en ligne », une expression qui couvre notamment la fraude.
La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a estimé que le compteur était « neutre financièrement ». Autrement dit, que les économies compenseraient les coûts d’investissement sur la durée. Dans leur facture, les consommateurs continueront à payer une part pour « l’acheminement » de l’électricité, mais celle-ci ne devrait pas évoluer à cause de Linky.
Pas fiable ? Des incidents isolés pour l’instant
Le nouveau compteur est accusé d’être à l’origine d’incendies. Lors de sa phase d’expérimentation, qui s’est déroulée à Lyon et dans la région de Tours entre mars 2010 et mars 2011, huit incendies ont été répertoriés. Les opposants pointent également des incendies au Canada. L’Union des consommateurs québécois a effectivement demandé en mai 2013 un moratoire sur l’installation de compteurs communicants en invoquant notamment « une augmentation du nombre d’incendies déclenchés par l’explosion des compteurs ».
Des risques à prendre en compte
Enedis ne nie pas les huit incendies de la phase d’expérimentation et rappelle qu’ils sont à mettre en perspective avec les 300 000 compteurs installés pendant cette période. Il assure que l’incendie n’est pas dû au compteur, mais à des câbles mal serrés lors de la pose. Quant au Canada, il faut savoir que les compteurs ont été installés à l’extérieur des habitations et qu’il y a eu des problèmes d’étanchéité.
Autre critique : le nouveau compteur disjoncterait plus fréquemment que l’ancien. Ce serait l’une des « arnaques » de Linky : le compteur étant plus sensible, il imposerait de souscrire un abonnement plus cher avec une plus forte puissance. Le cas s’est effectivement présenté pendant l’expérimentation à Lyon et à Tours.
Des perturbations à évaluer
Environ 1 % des clients ont demandé une augmentation de la puissance souscrite. Mais Enedis explique que c’est parce que leur disjoncteur n’était pas réglé à la bonne puissance. Il tolérait en quelque sorte les dépassements. Ce n’est plus possible avec Linky, qui intègre son propre disjoncteur.
Enfin, des pannes d’ordinateurs et de téléviseurs auraient été constatées dans des logements équipés de Linky, assurent les opposants aux nouveaux compteurs. Ils insistent sur les frais de réparation élevés qui vont être laissés à la charge des consommateurs. « Linky répond à la norme CE en matière de compatibilité électromagnétique », rétorque Enedis. « Cette norme impose de vérifier que le compteur ne va pas perturber les autres appareils et à l’inverse, qu’il ne risque pas d’être perturbé par eux », explique le Laboratoire national d’essais (LNE), qui assure que Linky est conforme à la réglementation sur ce point.
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Les refus en question
Certains consommateurs ont refusé l’installation du compteur et certaines communes ont également pris une délibération pour s’y opposer. Selon Enedis, le taux de refus était de 1,6 % fin février.
Le compteur n’appartient pas aux consommateurs, mais aux communes ou à leurs regroupements qui en délèguent la gestion aux entreprises de distribution. Ces autorités concédantes peuvent-elles s’opposer à Linky ? Leur marge de manœuvre est limitée, si l’on en croit une étude juridique réalisée pour le compte de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Le comptage fait partie des missions des entreprises de distribution de l’électricité et la loi de transition énergétique adoptée en août 2015 leur impose de moderniser leur système de comptage.
Les autorités concédantes pourraient donc être poursuivies si elles s’opposaient au déploiement. Les maires ne semblent pas non plus pouvoir se prévaloir de leur pouvoir de police générale. Celui-ci peut être utilisé en cas de risque grave ou imminent alors que l’opposition au compteur relèverait plutôt du principe de précaution.