Justice

Les résultats de l’action de groupe selon Alain Bazot

Alain Bazot

Les résultats de l’action de groupe selon Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir

Action de groupe un an après : quels sont les principaux enseignements ? Interview d’Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir par Village de la justice.com

Un an après l’introduction de la première action de groupe par l’UFC-Que Choisir contre le groupe Foncia, le Village de la justice a interrogé Alain Bazot, Président de cette association afin de faire un bilan sur cette nouvelle procédure qui a fait couler beaucoup d’encre au moment de son introduction. Retour sur l’action de groupe contre Foncia, les difficultés rencontrées, les améliorations souhaitées et l’actualité.

Après l’introduction de la première action de groupe contre Foncia, où en est cette action ?

On connaît les lenteurs traditionnelles de la justice. Il y va de l’action de groupe comme des autres actions. La procédure n’a pas beaucoup avancé. Au départ le juge a proposé une médiation mais nous n’y étions pas très favorable car la configuration du dossier, la nature même de l’affaire faisait que nous ne voyions pas l’intérêt d’une médiation. Sur le fond, nous avions déjà une décision du TGI qui avait jugé que la pratique du groupe Foncia était illicite et donc qu’il n’aurait pas du percevoir les sommes sur les locataires. Foncia était d’accord pour une médiation mais ne voulait pas reconnaître qu’il était responsable. De notre côté, nous demandions à ce que ça ne retarde pas le dossier et que nous n’ayons pas à rémunérer le médiateur. Nous avons perdu un peu de temps et il n’y a pas eu de médiation. Foncia nous a donc envoyé des conclusions en réponse à notre assignation auxquelles nous avons répondu et nous attendons sans doute de nouvelles conclusions de leur part. La date de l’audience n’a pas été fixée.

Combien d’actions ont été introduites par l’UFC ou par d’autres associations à ce jour ?

4 actions ont été introduites dont une par l’UFC contre Foncia. Celle introduite par SLC CSF a abouti suite à une médiation et non à un jugement sur le fond. Familles rurales en a lancé une contre SFR pour des problèmes de 4G mais cela ne va pas être évident car fixer et évaluer le préjudice dans ce domaine n’est pas une affaire simple. La 4ème est celle de la CLCV contre AXA et Agipi pour une modification de contrat en cours d’assurance-vie.
On se rend compte que contrairement à ce qu’avaient annoncé les détracteurs de l’action de groupe, à savoir une avalanche de contentieux qui mettrait en péril les entreprises, la réalité est toute autre.

A quelle difficulté vous heurtez-vous principalement ?

On se heurte principalement au problème de l’évaluation des préjudices. Je vais prendre un exemple. Depuis que la loi est entrée en vigueur il y a eu quelques décisions de l’Autorité de la concurrence sur le terrain des ententes illicites qui sont intervenues, ce qui signifie que les consommateurs ont payé des produits trop chers.
En théorie, la loi nous donne la possibilité de faire une action de groupe à la suite d’une décision de l’Autorité de la concurrence mais la difficulté est dans l’évaluation du préjudice. Quelle est la part du prix trop perçu et qu’il faut restituer au consommateur ? Si l’autorité de la concurrence évalue le préjudice à l’économie et fixe le montant de l’amende, elle n’a pas pour mission de faire une expertise sur l’évaluation du préjudice subi par les consommateurs et donc notre droit d’agir est paralysé. Cela fait partie d’un des obstacles majeurs.
Nous avons aussi des dossiers dans des domaines autres que celui de la concurrence (financier notamment) et nous rencontrons les mêmes difficultés.

Quelles améliorations de la loi souhaitez-vous ?

La loi a prévu une clause de rendez vous au bout de 3 ans d’application de la loi mais dès maintenant on voit d’ores et déjà quelles sont ses limites. Nous appelons de nos vœux que l’autorité de la concurrence puisse réaliser les expertises dont je vous ai parlé.
La loi est aussi très restrictive sur le préjudice lui-même puisqu’elle vise uniquement les dommages patrimoniaux entrainant un préjudice matériel et pas un préjudice moral. Cela pose problème car dans bon nombre de dossiers, la difficulté d’évaluer le préjudice sur le plan pécuniaire fait que la porte de sortie serait la possibilité de prendre en compte le préjudice moral.

Quand vous évoquez le préjudice moral, vous pensez aux usagers du RER A par exemple ?

Oui, c’est un exemple où effectivement beaucoup de personnes se sont mobilisées. Nous avons rencontré le collectif du RER A, mais très concrètement nous ne pouvons pas faire d’action de groupe, car cette action ne permet pas de faire collectivement ce qu’on ne peut pas faire individuellement. Les obligations du transporteur sont très restrictives pour obtenir une indemnisation quand un train arrive en retard. Autant il a une obligation de sécurité qui est une obligation de résultat, mais en cas de retard et de préjudice, la jurisprudence n’admet que les préjudices directs et prévisibles pour le transporteur.

Si le droit individuel à réparation est limité en l’état actuel, cela ne nous donne pas plus de pouvoir en regroupant toutes ces personnes pour revendiquer une indemnisation. Il faut donc faire évoluer le droit si on veut que l’action de groupe soit plus opérationnelle et donc par exemple en prenant en compte le préjudice moral.

Sur combien d’avocats vous appuyez-vous pour mener l’action contre Foncia ?

Nous avons un service juridique et notre process interne est le suivant. Nous sommes une association avec un réseau d’associations locales qui traitent beaucoup de litiges. On a mis en place un système de repérage des litiges sériels que nous analysons ensuite pour voir s’ils peuvent faire l’objet d’une action de groupe.
Pour la première action de groupe, notre service juridique interne travaille en collaboration avec un avocat tout en restant bien maître du sujet. L’idée est de confier le dossier à un avocat qui connaît bien le sujet sur le fond. Nous n’avons pas mis en place un dispositif spécifique, une cellule action de groupe. Pour Foncia, nous avons pris un avocat à Grenoble qui avait déjà travaillé sur ce dossier dans le cadre de la procédure devant le TGI.

Aujourd’hui, il existe des sites visant à mener des actions groupées en dehors du cadre fixé par la loi Hamon, qu’en pensez-vous ?

Mon souci est que les consommateurs ne soient pas induits en erreur parce qu’on instrumentalise quelque chose qui est dans toutes les têtes, l’action de groupe … Il y a une espèce de flou et en réalité peu de personnes savent ce qu’est l’action de groupe, y compris les journalistes, les politiques et mêmes les juristes… Imaginez l’état de l’opinion publique.

Un certain nombre de sites instrumentalisent cette méconnaissance pour faire croire à des consommateurs qu’ils font une action de groupe. Ils sont malins, car ils emploient des termes qui sont suffisamment ambigus pour laisser croire que c’est une vraie action de groupe. ’ActionCivile.com’ par exemple essaie de faire pression en regroupant beaucoup d’inscrits sur son site pour obtenir un rapport de force et négocier avec le professionnel par la voie d’une transaction. Si cela ne fonctionne pas, chacun se retrouve à devoir faire une action personnellement. Souvent, ce qui n’est pas bien expliqué, c’est que dans ce cas, c’est le consommateur qui prend tous les risques, dont celui d’être condamné aux dépens. De plus même si la médiation aboutit, le site prend un pourcentage de la négociation. C’est toute la différence avec l’action de groupe. Le consommateur n’a rien à payer, il récupère son préjudice à 100% de ce que le juge a octroyé et il ne prend aucun risque. Au final, on glisse d’un monde qui est la véritable action de groupe vers des pseudos action de groupe qui sont faussement prometteuses et qui ne sont pas sans risque.

Pour les sites qui entendent se fonder sur le Code de procédure civile, il va s’agir de juxtaposer des actions individuelles, ce qui est extrêmement lourd à gérer. Ce sont les règles classiques qui s’appliquent et selon moi la technologie ne changera rien aux verrous procéduraux qui sont dans la loi. Quand nous avons obtenu la condamnation pour entente illicite des 3 opérateurs de téléphonie mobile nous n’avions pas l’action de groupe. Nous avons donc mis en place un site en demandant aux consommateurs de s’inscrire et de nous envoyer les pièces dématérialisées. On avait recueilli 12500 dossiers. Il n’empêche qu’il a fallu vérifier chaque dossier. Il ne faut pas croire que l’intelligence artificielle remplacera le formalisme des règles de procédure qui nécessite un traitement humain. Cela reste une usine à gaz parce que c’est une juxtaposition de dossiers individuels. Dans la décision de justice, il faudra que chaque consommateur soit mentionné parce qu’il est une partie à l’instance alors qu’avec l’action de groupe, il n’y a qu’une partie à l’instance, c’est l’association. De plus, même si le numérique rend ce type d’action possible, le site va se rémunérer sur les sommes qui étaient dues au consommateur à la différence de l’action de groupe.

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