Le 30 juin 2011
Faute de moyens, la qualité des substances fabriquées dans les pays émergents n’est pas vraiment suivie par les autorités sanitaires occidentales.
Ce n’est pas stipulé sur la boîte, mais la plupart des médicaments ne sont plus «made in France». Comme les vêtements et les jouets, ils sont désormais fabriqués en Chine ou bien en Inde. Actuellement, 80% des principes actifs entrant dans la composition des médicaments vendus en Europe proviennent de ces deux pays, contre 20% il y a trente ans, ont précisé des spécialistes lors d’une conférence de presse organisée mercredi par l’Académie de pharmacie. C’est le cas par exemple de la plupart des génériques. Le paracétamol, antalgique parmi les plus populaires, est même désormais produit exclusivement hors Europe. Seules les phases finales de fabrication (conditionnement en comprimés, gélules…) sont effectuées sur le Vieux Continent.
Or, cette mondialisation induit des risques majeurs pour la santé publique, alerte l’Académie de pharmacie. D’abord, la qualité des principes actifs fabriqués dans les pays émergents n’est pas vraiment suivie par les autorités sanitaires européennes et américaines, faute de moyens. La Direction européenne de la qualité du médicament (DEQM), organe du Conseil de l’Europe, procède à une trentaine d’inspections annuelles hors Europe, un chiffre à rapporter au millier de sites de production en Chine et en Inde. Ceux-ci sont inspectés en moyenne 5 fois moins que les sites européens, selon l’Académie de pharmacie. En France, les rares producteurs de ces principes actifs sont eux contrôlés régulièrement. «Nos procédures de fabrication sont inspectées par l’Afssaps tous les deux ans. Un de nos sites a été contrôlé sept fois par la FDA (agence américaine du médicament NDLR)», assure David Simonnet, président du directoire d’Axyntis, leader français du secteur.
Médicaments falsifiés
Les risques de ces contrôles insuffisants ne sont pas seulement théoriques. En 2008, une héparine frelatée fabriquée en Chine a été à l’origine d’au moins 80 décès aux États-Unis. Au niveau européen, la DEQM a suspendu une vingtaine d’autorisations d’importations de principes actifs au premier semestre 2010 pour problèmes de conformité, les trois quarts venaient de Chine ou d’Inde. Au total, 1 à 3% des médicaments vendus légalement seraient falsifiés.
Autre problème, la fourniture des principes actifs peut ne plus être assurée à la suite d’événements géopolitiques ou de catastrophes naturelles. Ainsi, une cinquantaine de sites de chimie sont à l’arrêt à cause du tremblement de terre de Fukushima, au Japon, le 11 mars. Au final, la dépendance conduit à un nombre croissant de pénuries touchant diverses molécules: technétium 99 (un produit de contraste en radiologie), voire même des chimiothérapies. «Au 1er semestre 2009, l’Afssaps a émis 2 messages d’alerte sur un risque de rupture de stock. Le chiffre est passé à 4 pour le premier semestre 2010, 31 pour le 1er semestre 2011», souligne David Simonnet. Une récente directive européenne renforce le contrôle que les laboratoires doivent exercer auprès de leurs fournisseurs hors union européenne. L’Académie de pharmacie formule une dizaine de propositions. À commencer par l’établissement d’une liste des principes actifs indispensables que la France doit avoir à sa disposition ; et une forte incitation des décideurs privés et publics à relocaliser la production des matières premières en Europe.
Par Sandrine Cabut